Stéphane Abdallah ILTIS
22 avr. 20193 Min
Mis à jour : 23 août 2019
Jean-Pierre Siméon, Christian Doumet...
Deux poètes de la génération actuelle que je découvre, au hasard d'un article (pour le second), ou parce qu'on m'en a parlé (pour le premier).
Ce qui me frappe, d'emblée, c'est que ces deux auteurs sont des enseignants de très haut niveau - l'un agrégé de lettres, l'autre professeur à la Sorbonne.
Dans mes CARNETS DE ROUTE, je concevais une approche empirique de la poésie selon trois temps distincts, dont le premier était celui de l'étude des textes des aînés censée dégager une méthode de synthèse purement théorique ; laquelle devait donner lieu à une mise en pratique expérimentale ; laquelle devait fonder, si l'expérience s'avérait concluante, une poétique universelle.
En effet, les fondements de la poésie traditionnelle avaient volé en éclats, et il convenait de "réapprendre la poésie", qui se cherchait tant dans la forme que sur le fond :
Le poète ayant perdu le sens admis du sacré, la foi ayant déserté le monde en général et les arts en particulier, la poésie, déboussolée, se trouvait orpheline.
Les mots ne servaient donc plus à formuler, dans la forme académique du vers, le Sens (connu), mais à Le chercher, ainsi que la manière de L'exprimer (ledit vers étant tombé en désuétude faute de matière à habiller : on ne pare pas un squelette désassemblé d'une robe de haute couture).
Il convenait donc d'étudier, de chercher ; et les poètes se sont faits, depuis Valéry investissant la chaire de poétique comparée du Collège de France, intellectuels - universitaires, critiques, chercheurs, professeurs...
Dans le temps, il y avait d'une part ceux qui créaient, qui produisaient ; et d'autre part ceux qui étudiaient, qui critiquaient ce travail, qui glosaient dessus : chacun à sa place.
Aujourd'hui, le poète a endossé l'habit des seconds, qui dans l'ordre des valeurs précèdent les premiers :
Le poète est désormais subordonné à l'intellectuel.
Ce qui prouve combien la poésie, vidée de toute substance, appauvrie dans sa forme, sans ligne directrice claire, est devenue une fille misérable, qui erre en haillons dans les chemins de hasard sur lesquels elle a été jetée.
Dans le passé, elle se savait l'habit cousu de fils d'or du Beau, du Vrai - de l'Absolu : le vers ciselé, travaillé avec minutie, riche de sa rigueur mathématique et de ses effets sonores, incarnait et sublimait une Vision sacralisée du monde.
La quête de l'Absolu demeure pourtant, timide, dans des vers libres sans artifices qui sont autant de pas hésitants, à travers quelques images ô combien fragiles de l'instant fugitif, éphémère :
J’aime les très vieux
assis à la fenêtre
qui regardent en souriant
le ciel perclus de nuages
et la lumière qui boite dans les rues de l’hiver
j’aime leur visage
aux mille rides
qui sont la mémoire de mille vies
qui font une vie d’homme
j’aime la main très vieille
qui caresse en tremblant
le front de l’enfant
comme l’arbre penché
effleure de ses branches
la clarté d’une rivière
j’aime chez les vieux
leur geste fragile et lent
qui tient chaque instant de la vie
comme une tasse de porcelaine
comme nous devrions faire nous aussi
à chaque instant
avec la vie
(Jean-Pierre Siméon, Éloge de la vieillesse)
Ainsi va la poésie aujourd'hui, jetée dans le séculier qui caractérise ce monde moderne duquel l'Homme, dans son orgueil infini, a chassé le divin.
Et pour compenser Sa perte, le poète s'est gavé de science et d'érudition, et s'est fait professeur, chercheur, universitaire...
Mais comme Il ne saurait mourir, le vrai Poète empli de Son amour resurgira nécessairement, ses vers rayonnants, magnifiques, de Son évidente Lumière.