Stéphane Abdallah ILTIS

3 févr. 20219 Min

Introduction au fonctionnement de l'esprit

Mis à jour : 11 avr. 2021

بسم الله الرحمن الرحيم

À titre liminaire, nous précisons que les interactions spirituelles ont lieu dans ce plan qu'on appelle 'Alam Al-Malakut, qui est la dimension invisible et immatérielle de la création où évoluent toutes les créatures et entités que ne peuvent percevoir les sens physiques, comme les anges ou les Jinn ; dans le Malakut, les créatures ne sont pas matérielles, mais elles ont une forme, une image, une apparence, sous laquelle elles peuvent se matérialiser si d'aventure elles sont amenées à se manifester dans le monde sensible – et dans tous les cas l'image précède toujours la matière, qui est la manifestation ultime dans l'ordre de la création (l'écrit précède l'image qui précède la matière) : c'est ainsi que l'image des hommes, leur apparence, a été créée bien avant leur manifestation comme êtres de chair ; et c'est ainsi, par cette apparence, que, tout naturellement, ils se reconnaissent dans le monde spirituel.

De fait, quand on oriente son esprit vers quelqu'un (donc quand on pense à lui), on apparaît nécessairement à l'esprit de cette personne – et c'est bien sous cette apparence qu'on lui vient à l'esprit.

Mais cette apparition est fonction :

  1. De la puissance et de la précision du Tawajjuh (orientation spirituelle) de celui qui oriente son esprit.

  2. De la capacité de l'autre à percevoir cette orientation vers lui : la plupart des gens sentent bien qu'ils sont visités spirituellement (l'image de quelqu'un s'impose à leur esprit sans qu'eux-mêmes n'aient pensé à cette personne) mais ils sont incapables de comprendre que c'est le fruit d'une orientation spirituelle (inversement, la plupart des gens qui pensent à quelqu'un le plus simplement du monde, ne sont pas conscients que ça éveille leur image dans l'esprit de la personne).

Ainsi, si une orientation spirituelle (et toute pensée vers quelqu'un peut être considérée comme une orientation spirituelle, abstraction faite de l'intention qui la détermine) est superficielle, aléatoire, fugace, pas intentionnelle (dénuée d'une intention déterminée : on pense juste pour évoquer), elle se traduira, dans l'esprit de la cible, par une apparition fugace, éphémère, succincte, brouillée...

Mais si elle émane de quelqu'un qui maîtrise son Tawajjuh et oriente son esprit en conscience, avec une intention déterminée, elle sera d'une grande précision, lumineuse, et porteuse d'un message clair ; et la puissance de cette orientation illuminée compensera, le cas échéant, dans une certaine mesure, la faible capacité de réception du destinataire.

Penser à quelqu'un, c'est comme le toucher : cela provoque une réaction sur son esprit, il ressent un contact – et l'impact de l'orientation spirituelle, pour filer cette métaphore, peut aller de l'effleurement quasi imperceptible, au choc frontal le plus violent – comme une collision à grande vitesse ; de la forme qui se détache à peine dans les ténèbres, à l'éblouissement.

Par "esprit", dans cette étude, on entend à la fois Nafs et Ruh (l'esprit charnel et l'esprit divin), rappelant que Nafs s'est formée de Ruh dans 'Alam Al-Mithal (la partie inférieure du Malakut où se développent les rêves, les fantasmes, les concepts, les idées, les pensées, les intentions, les desseins...), et qu'elle n'en est jamais qu'une partie dégradée pour s'être consacrée aux besoins triviaux du corps ; aussi se manifestera dans le Malakut, au moment de l'interaction, ce qui (de Ruh ou Nafs) domine l'individu en termes d'orientation spirituelle, et son image apparaîtra dans le Malakut, aux yeux aguerris (il y a plusieurs degrés d'acuité de la vision de l'œil du cœur – Al-Basira – selon le degré d'ouverture de celui qui voit, et donc selon l'afflux de Lumière Divine qui éclaire son regard), avec les détails et caractéristiques de cet état spirituel : c'est-à-dire qu'apparaîtra, en transparence, l'état du cœur, avec la couleur de son âme selon son degré de cheminement (si tant est qu'il y ait cheminement) – et il existe sept stades de l'âme, de Nafs à Ruh en passant par les stades intermédiaires, avec pour chacun une couleur caractéristique différente :

  1. L'âme instigatrice du mal (An-Nafsu Al-Ammara Bi As-Su'i), de couleur verte : c'est le stade de Nafs à l'état "pur", de celui qui est complètement régi par elle, qui n'a pas entamé le processus de purification et de régénération par lequel elle remonte progressivement, par paliers, vers Ruh.

  2. L'âme qui blâme (An-Nafsu Al-Awwama), de couleur jaune : à ce stade l'âme a commencé sa remontée vers Ruh et, au fur et à mesure qu'elle se purifie, s'opère une dualité, un conflit, une opposition entre les parties assainies et les parties encore souillées, qui fait qu'elle produit toujours du mal d'un côté, mais s'en blâme avec sévérité de l'autre.

  3. L'âme inspirée (An-Nafsu Al-Mulhama), de couleur blanche : à partir de ce stade, l'âme, qui se rapproche de Ruh, commence à recevoir les Lumières Divines.

  4. L'âme apaisée (An-Nafsu Al-Mutma'inna), de couleur bleue : plus proche de Ruh que de Nafs, dont il ne subsiste quasiment plus rien, elle n'est plus en proie à la dualité et au conflit intérieur.

  5. L'âme satisfaite (An-Nafsu Ar-Radiya), de couleur noire : n'étant plus en proie aux sollicitations de Nafs dont elle quasiment débarrassée, et n'ayant plus de besoins matériels issus du Dunya, elle se satisfait pleinement de ce que donne ALLAH ﷻ, bon ou mauvais, facile ou difficile : c'est l'âme qui agrée Son Seigneur.

  6. L'âme qui satisfait (An-Nafsu Al-Mardiya) : à partir de ce degré, il ne subsiste définitivement plus rien de Nafs, l'âme a totalement réintégré Ruh, elle est pure Lumière et n'a plus de couleur : c'est l'âme agréée par ALLAH, qu'Il admet dans Sa Proximité (Qurb) où elle va finir de se parfaire (et quand on dit "âme", à partir de ce stade, on entend, par métonymie, "Ruh/esprit divin").

  7. L'âme parfaite (An-Nafsu Al-Kamila) : c'est celle du Connaissant ('Arif) par ALLAH ﷻ, totalement éteint en LUI, qui fait face à La Table Bien Gardée (Al-Lawh Al-Mafduh) dont tous les secrets de la création se reflètent sur son cœur.

Dans le cadre d'une interaction dans le Malakut, donc, selon le degré de l'ouverture de l'œil du cœur et le flux de Lumière qui en jaillit, on verra de son correspondant, soit une image très vague et très floue, soit une image d'une grande précision où apparaîtra en transparence le cœur et son état précis – conformément à la liste ci-dessus – et bien d'autres choses.

La nuit est le moment où l'esprit est le plus librement actif : quand on dort, l'esprit quitte le corps par les narines (d'où l'importance des techniques du souffle et de respiration pendant le Dhikr, au cours duquel les phases d'extinction sont une forme de sommeil contrôlé) en direction des mondes invisibles ('Alam Al-Mithal, 'Alam Al-Malakut, 'Alam Al-Jabarut) ; il lui reste toutefois attaché, contrairement au moment de la mort où, enlevé par l'ange de la mort, il s'en détache totalement – avant toutefois de le réintégrer dans le Barzakh ; comme nous l'apprend ALLAH ﷻ LUI-même (Qur'an 39:42), c'est en premier lieu auprès de LUI que retourne l'esprit pendant le sommeil, dans le monde invisible supérieur ('Alam Al-Jabarut et au-delà), et pendant ce laps de temps qui correspond au sommeil profond, nous n'en n'avons plus du tout le contrôle – si tant est que nous l'ayons jamais eu ; dans ce moment surviennent les rêves véridiques, au cours desquels ALLAH ﷻ dévoile des éléments de l'invisible, du destin – du futur par exemple (on parle dans ce cas de rêves prémonitoires) ; puis l'esprit redescend vers le corps et, dans son voyage, transite par les plans intermédiaires (Malakut, Mithal) : dans cette phase, il croise d'autres esprits, puis des entités comme des Jinn ou des anges, et il reçoit là encore d'autres informations qui se traduiront en rêves plus ou moins confus, et qui viendront soit confirmer, soit brouiller La Révélation Divine Initiale – et cela ne dépend que de La Volonté d'ALLAH ﷻ : s'Il souhaite pour des raisons qui n'appartiennent qu'à LUI, que La Révélation parvienne intacte à destination (le corps), elle le fait directement, sans interaction trompeuse, et se révèle au grand jour au réveil du dormeur : ainsi, au moment où l'esprit réintègre le corps (et plus précisément le cœur où il siège), soit il délivre avec une grande clarté et une grande précision ce qu'il lui aura été révélé, soit il ne se souvient plus de rien – ou alors de choses brouillées et confuses, et de bribes incohérentes.

En dehors du sommeil, pour élever l'esprit et lui faire quitter le corps volontairement (ce qui exige tout de même une certaine maîtrise), il "suffit" de fermer toutes les attaches sensorielles (qui nous rattachent au monde matériel immédiat qui nous environne), et de fixer son attention (d'orienter son Tawajjuh) sur un point précis – qu'il s'agisse d'une personne ou d'un endroit (l'esprit peut voyager très loin).

La Rabita est bien évidemment une forme d'orientation spirituelle, qui consiste à fixer son esprit sur celui de son Shaykh ; on l'appelle Rabita, et non Tawajjuh, parce qu'il s'agit d'un Tawajjuh incomplet par lequel le novice se contente de penser à son Walî, mais sans avoir nécessairement et pleinement conscience des applications et conséquences dans le monde spirituel ; quand le Murîd établit la Rabita, son image se manifeste dans l'esprit du Shaykh, qui en retour oriente son Tawajjuh : l'esprit du Shaykh étant particulièrement puissant, et son œil du cœur étant particulièrement ouvert et éclairant, il est extrêmement réceptif à toute sollicitation spirituelle, même confuse et brouillée – et c'est ainsi qu'il peut accompagner spirituellement des disciples débutants, à l'esprit des plus faibles.

L''image est fondamentale dans l'orientation spirituelle, car c'est par elle que procède principalement la connexion – et c'est bien la raison pour laquelle ALLAH ﷻ a donné à chacun une apparence bien spécifique : ainsi, le premier moyen d'orienter son esprit vers quelqu'un est de le visualiser, l'imaginer – mais les esprits les plus puissants parviennent à se relier "à l'aveugle", ayant la capacité de reconnaître un pur esprit sans passer par l'image, et par d'autres aspects d'ordre métavisuel (les mondes invisibles impliquent d'autres dimensions que la dimension strictement imaginale, et donc d'autres manifestations que l'image ; et les esprits impliquent d'autres caractéristiques, sensorielles et extrasensorielles, que la seule image – et on pense notamment à tout ce qui est sons et voix, mais aussi à ce tout qui relève de l’idée et du pur concept par quoi se manifestent la plupart des aspects de la science et de la connaissance).

Ainsi les Awliya contemporains sont-ils en capacité d'établir avec Sayyidina Muhammad ﷺ un lien spirituel fort et permanent, bien que son image leur soit parfaitement inconnue – du moins avant la première connexion, car une fois que le lien est établi son image leur devient familière (de la même manière, ils peuvent se connecter avec des prophètes ou des Awliya du passé) ; et les connaissants par ALLAH ﷻ sont-ils en capacité de se noyer/fondre en LUI, de le RE-connaître, bien qu'Il échappe à toute notion d'image ou d'apparence : c'est dire que l'image appelle, au regard du monde spirituel, une considération certes nécessaire (comme introduction), mais bien basique.

Quoiqu'il en soit, tout esprit vient d'ALLAH ﷻ comme émanation de Sa Lumière – et donc aboutit nécessairement à ALLAH ﷻ ; c'est ainsi que toute connexion à un esprit attaché à une créature n'est jamais qu'un palier et un lien vers ALLAH ﷻ (l'esprit est attaché à la créature côté Zâhir/apparent, et à ALLAH côté Bâtin/caché).

Le lien avec ALLAH ﷻ passe donc notamment par le lien spirituel avec Ses Créatures, et en particulier Celles qui LUI sont le plus proches en tant que porteuses de l'esprit muhammadien ; lequel, comme dérivé immédiat de Sa Lumière, est le nécessaire et ultime trait d'union (ou de fusion) entre LUI et nous ; et ces créatures les plus proches, qui sont investies de l'esprit muhammadien, ce sont bien évidemment les Awliya.

Mais le lien direct avec ALLAH ﷻ, comme Il nous en informe dans le Hadith Qudsi, se fait par la pratique des adorations obligatoires et surérogatoires, comprises comme moyen privilégié de faire son Dhikr – car c'est bien Son Dhikr qui est LE passeport ultime vers la connexion spirituelle avec Le Créateur, c'est-à-dire vers l'extinction en LUI.

Car le Dhikr développe la vigilance (Muraqaba), qui n'est jamais qu'Un Don de Sa Part (comme le Dhikr d'ailleurs) : ainsi, quand un serviteur Le Désire sincèrement, Il lui inspire le Dhikr ; et quand le serviteur est assidu dans Son Dhikr (c'est-à-dire que son intention de Le rencontrer ne faiblit jamais, et qu'en retour ALLAH ﷻ renouvelle constamment ce don du Dhikr), Il finit par commuer le Dhikr en Muraqaba.

Autrement dit, le Dhikr est en quelque sorte la Rabita que permet ALLAH ﷻ à Son Serviteur (par quoi nous appelons ponctuellement Son Attention) – et en réponse Il lui donne le degré/Maqam de la Muraqaba, par quoi le serviteur rentre en état de vigilance permanente et ne connaît plus le moindre instant d'oubli/Ghafla ; et ce don, ce degré accordé, est d'une certaine manière la grande manifestation de Son Tawajjuh "actif", car c'est en nous inspirant Son Souvenir permanent, cette vigilance constante quant-à Sa Présence, qu'Il nous montre et confirme que nous bénéficions de Sa Part d'Une Attention Particulière et Privilégiée.

Mais la Muraqaba s'accompagne de bien d'autres dons témoignant de Son Orientation Spirituelle vers nous (donc de Son Intérêt Particulier) – comme l'Inspiration Divine Directe (Khatir Haqq) ou, plus indirectement, l'inspiration angélique (Ilham) ; dons eux-mêmes suivis d'ouvertures successives, et correspondant à autant d'étapes du rapprochement vers LUI, à autant de Maqamat du Suluk/cheminement spirituel dont Il est L'Objectif Unique.

Sachant que tout cela (tout ce qui va vers ALLAH ﷻ, ou vient de LUI) passe par le canal du Sirr.



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